
Je suis urbaine.
J’ai toujours vécu en ville, en France dans des villes moyennes et à Paris, à l’étranger dans des capitales. J’aime l’activité de la ville, son effervescence, ses couleurs, sa diversité de populations, ses multiples facettes. J’aime pouvoir décider de sortir au dernier moment, en vélo, à pied, en métro sans avoir besoin de prévoir, programmer, planifier. J’aime aller au théâtre, au concert, retrouver des amis, faire mes courses en vélo, à pied, que mes enfants rentrent de l’école par leurs propres moyens, qu’ils retrouvent des amis sans besoin de transport en voiture…pour moi c’est simple, c’est facile.
Nous avons fait le choix avec mon conjoint de vivre en ville, avec pour critère n°1 de réduire l’usage d’une voiture et pour second critère d’habiter à moins de 30 mn porte à porte de nos lieux de travail. Du coup, nous avons habité dans des logements plus petits, anciens, avec un petit jardin parfois, pour faire coïncider nos critères avec notre budget.
Pendant la période de confinement, j’ai mis à profit la sortie autorisée d’une heure quotidienne pour explorer le périmètre de 1km autour de mon habitation et observer la moindre manifestation de nature à portée de mon regard. Avant le 20 mars 2020, ce n’était pas mon lieu habituel de balade, privilégiant le centre ancien de Toulouse, les rues autour du Capitole, de St Sernin, les berges de la Garonne qui ouvrent le regard sur les Pyrénées quand le ciel est limpide.
Heureusement c’était le printemps. Les manifestations de nature s’échappaient des jardins privés et apportaient des touches de couleur nouvelles chaque jour. J’ai pris des photos, des arbres en bourgeons, des plantes en fleurissement, des herbes sauvages qui avaient pris leurs aises.
Comme si j’avais besoin de capter cette nature qui m’était devenue interdite
Interdits les parcs, interdit de marcher le long du canal, interdites les berges de Garonne, interdits les 300m2 de pelouse autour de l’obélisque …Restait à marcher sur les trottoirs et les rues désertées par les voitures.
La chasse à la nature a vite trouvé ses limites. Le plaisir des yeux procuré par le printemps a rapidement laissé la place à la grisaille et la froideur du goudron, des murs, des toits…Mon regard a buté sur les étages des bâtiments. Et une sensation d’enfermement dans la ville s’est installée, insidieusement, petit à petit.
Pour nous, le confinement c’était comme être enfermés dans une prison minérale.
Je n’ai pas identifié tout de suite le manque de végétal (de nature ?). Je crois que pour la première fois j’ai compris ce qu’on appelait le « cadre de vie » : contrainte dans mon périmètre de 1km2, je me suis en fait retrouvée dans un « cadre sans vie». Ca reste douloureux
En échangeant avec des collègues, des amis, la famille, des clients qui étaient confinés à la campagne, dans des villages, j’ai compris que nous ne vivions pas le même confinement.
En ville nous faisions nos courses à pied ou à vélo. En ville nous savourions un silence jamais entendu – pas de voiture, pas de train, pas de camions, pas d’avion. En ville nous avions le choix de nous approvisionner dans différents magasins en fonction de la longueur de la queue (trop de monde ici, j’essaie là bas), du respect des consignes d’hygiène du-de la commerçante. En ville nous pouvions savourer le plaisir de prendre le temps de faire nos courses, puisque cela nous permettait d’être dehors plus que le temps autorisé pour les activités sportives.
Dans un cadre de vie minéral non vivant.
Avec Lisa Russo et Rachel Jouan (Climate Adaptation Consulting), Stéphane Simonet (Acterra) et Guillaume Simonet (Abstractions), tous les cinq engagé.es professionnellement nous interrogeons nos pratiques professionnelles, partageons nos prises de consciences, et essayons de tirer des enseignements de la « crise de la COVID 19 ».
Cette histoire de cadre de vie interroge nos approches territoriales sur l’adaptation. Quand nous abordons la question à l’échelle d’une intercommunalité, comment prenons nous en compte le cadre de vie des habitants dans leur quartier ? Comment prenons nous en compte le vécu et le ressenti des habitants au niveau du quartier avant d’engager une végétalisation pour réduire les ilots de chaleur ou développer les ilots de fraicheur? Comment prenons nous en compte les ouvertures paysagères, les lignes de fuites qui participent au sentiment de bien-être et contribuent à la circulation de l’air ? Comment compléter les images satellites et les indicateurs pour intégrer les perceptions, l’accessibilité aux espaces de nature, leur confort, leur convivialité ?
Il nous parait primordial d’investir ce « cadre de vie » pour co-construire les capacités d’adaptation des villes avec les habitants, jusqu’à l’échelle du quartier. Conduire des diagnostics sensibles avec les habitants dans leur diversité – les adultes, les enfants, les personnes qui se déplacent lentement, les femmes, les anciens et les nouveaux urbains, les sans domicile fixe… les vivants.
Article rédigé par C.Bossis, Greenselipar sous le regard bienveillant de Rachel Jouan et Lisa Russo, Climate Adaptation Consulting, Stéphane Simonet Acterra et Guillaume Simonet Abstraction services, 16 juillet 2020. Illustration de Anna KEDZ